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Spectacle réalisé : Tout est fumée, du vent !


Les textes qui interrogent l’homme depuis des millénaires sont comme des galets polis par les eaux et le temps.
Ils ont perdu leur forme brute pour se parer d’abstractions et de sens obscurs.

Un homme surgit du néant. Il est toute l’humanité. Il a connu et considéré toutes les activités humaines et il en dénonce les illusions et les aliénations. En examinant tout ce qui nous importe, nous enflamme et nous questionne durant notre existence, il nous montre comme il est compliqué d’être un sage, ballotté entre notre soif d’éternité et le temps qui passe. Face à la violence, à l’intolérance et au crime qui continuent imperturbablement leurs cycles, sachant que, quoiqu’on fasse, tout finira, le Qohélèt nous dit de nous efforcer à la sagesse mais sagement car trop de sagesse confine à la folie. Il réagit, avec ironie et scepticisme, aux aspects de notre monde mais, lui qui vante la mesure, se déchaîne en invectives face à la prise d’un pouvoir, dont l’avènement le révulse. Sage, apparemment, notre homme ne l’est pas toujours. Mais, comme il le dit, si on médit de toi, laisse dire, et personne n’est parfait.

Qohèlèt nous recommande de nous garder de mal faire, de ne pas nous prendre au sérieux et de nous contenter d’un bonheur tranquille, en sachant jouir de l’instant, des plaisirs vitaux et de la bonne compagnie. Car tout le reste est fumée.

Et, quoiqu’il en dise, sa parole, plus de deux mille ans après, ne s’est pas encore dissipée.

Dans cette interprétation, j’ai voulu conserver l’intégralité du discours, n’éluder aucun des versets qui composent les propos du prédicateur mais dans une langue parlée et directe. J’ai pensé qu’initialement cette parole ne s’adressait pas qu’à des lettrés et que les images, les expressions et les maximes reflétaient le quotidien de l’époque et son langage courant. J’ai donc cherché à être simple et concret. Il fut un temps où la parole de l’Ecclésiaste n’avait rien d’hermétique.

Qohélèt respecte trop le divin pour lui prêter aucune passion, aucun sentiment humain. Cet Être n’a rien à voir avec les raisonnements et la perception des hommes. J’ai donc préféré utiliser la Vie et le Vivant pour éviter d’assimiler ce qui régit les lois de la matière, de l’espace et du temps, à Zeus, Odin ou Quetzalcóatl. J’ai voulu que ce texte puisse recevoir l’écoute de tout un chacun, quels que soient sa confession, ses convictions ou son athéisme. Ernest Renan a fait une magnifique traduction de l’Ecclésiaste, tout y est limpide et la langue fort belle mais c’est encore de l’écrit. J’ai voulu retrouver l’oralité de l’original et rendre immédiatement accessible à tous la quête folle de ce sage qui “fait, en grand pessimiste, de la tristesse avec de la joie et de la joie avec la tristesse... ...qui se débat entre des contradictions car il aime la vie, tout en en voyant la vanité”.

Il émaille son discours de chansons, de bouts-rimés et de vers plus nobles, comme l’a décelé Renan, qui a discerné, au milieu de la prose hébraïque, des symétries et des rythmes propres à la forme poétique. Je l’ai suivi à ma façon, quitte à versifier d’autres passages qu’il n’avait pas retenus.

Sur les ailes de la musique de Jean-Marie Sénia, ces chansons annoncent ou viennent clore un raisonnement, souvent en rupture apparente avec les périodes précédentes ou à venir. Elles évitent tout pathos et nous plongent, avec la politesse de l’humour, dans une émotion simple. La terrible lucidité de Qohèlèt devrait vivifier et non abattre ceux qui la partageront.

Jean O’Cottrell


Qohèlèt enseignait le peuple.Il appréciait les proverbes et en composa beaucoup.
Sage des sages, il parlait vrai tout en s’appliquant à rendre son discours attrayant et direct.

Temps de naître, temps de mourir, temps de planter, temps d’arracher, temps de pleurer, temps de bien rire… 
Il y a un temps pour tout et tout vient à son heure sous le soleil... 

Telles sont les paroles de Qohèlèt, ce Maître unique.

La formule fameuse : « Vanité des vanités, tout est vanité… » devient chez nous : « Fumée… tout part en fumée et tout est fumée… » Ce n’est pas là une invention, mais bien une traduction plus précise et plus proche de l’original. L’hébreu de cette époque ne comportait pas de termes pour exprimer des abstractions ou des concepts.

C’est dans cet esprit, et en tenant compte des recherches et commentaires linguistiques les plus récents sur les écrits bibliques, que Jean O’Cottrell a établi une version vivante, homogène et surtout personnelle de l’Ecclésiaste. Pareille passion pour un tel texte ne pouvait manquer de m’alerter.

Il m’a cependant fallu le travail du plateau pour éprouver véritablement cette pensée du « sage des sages » comme essentielle et probablement indépassable. Comment porter au théâtre un tel écrit ? Je ne voyais pas par quel moyen échapper à une présentation académique. C’était sans compter avec la présence physique de l’acteur, la mise en bouche des mots, le surgissement du sens, l’incarnation, le jeu et la musique.

En exigeant de l’interprète l’aveu d’une vérité, la scène nous permet de révéler le secret des œuvres.

Nous y sommes : un homme qui aussi bien est à lui seul tous les hommes repasse par les aléas de son destin individuel… Tour à tour, il s’interroge, réfléchit, se moque, divague, s’insurge, se reprend et cherche encore une raison, un sens qui enfin lui permettrait d’échapper à l’aberration de sa vie… Trop tard, déjà...

c’est l’heure : le cordon d’argent se rompt, la coupe d’or se fracasse, la jarre se brise à la fontaine, la roue se disloque dans la fosse. La poussière retourne à la terre d’où elle vient et l’on rend son souffle au Vivant qui nous l’avait donné.

Une beauté dans l’expression qui, ici et là, m’évoquerait Claudel, si d’abord je ne pouvais m’empêcher de voir dans le « personnage » de l’Ecclésiaste le précurseur des clowns métaphysiques de Beckett et si, par dessus tout, l’énergie lyrique de la musique de JeanMarie Sénia ne transcendait absolument notre propos.

J’aimerais assez que le théâtre soit une chose naturelle et jubilatoire. Il faut que le spectateur soit touché au plus vif, emporté dans le phénomène sans réfléchir. J’aime que le théâtre mette en jeu le désir le plus fort. Mon horizon s’est élargi. Je suis devenu plus attentif et plus sensible au pouvoir du texte, à la fonction de la parole comme au geste des hommes. La poésie, la fable, le réalisme de la représentation et les acteurs, leurs qualités de présence et de jeu, l’humanité qu’ils révèlent, m’importent désormais de façon prééminente.

Philippe Adrien


Dossier de presse :

DOSSIER de presse Tout est fumée.pdf

Captation audio d'une représentation au théâtre de Meudon :

 

 

Extraits :

 

Texte :

TEXTE PIECE - Ecclésiaste.pdf